Roderick ▽   Rosie

Roderick voyait le discours du nouvel an comme une corvée obligatoire avant que les choses amusantes commencent. Heureusement, comme pour toutes les corvées, d'autres personnes lui avaient prémachés le travail. Le Maire avait lu en diagonale le formidable discours écrit par sa fille. Du moins, il supposait que comme ce texte provenait de Rosie, il ne pouvait être que formidable. Ce n'était pas un avis impartial donné uniquement après lecture du texte en question. Cela ne pouvait pas l'être puisqu'il s'était contenté de lire en diagonale. À ses yeux, tous les discours de nouvel an se ressemblaient.

La seule chose qui variait était le temps. Le Moroï se souvenait avoir eu en une occasion de la neige, mais, la plupart du temps, la météo se montrait indulgente. Aujourd'hui, Roderick en venait presque à regretter qu'il ne fasse pas suffisamment froid pour de la neige. La tombée des doux flocons avait toujours un petit quelque chose de poétique lorsqu'ils dansaient dans le ciel en un premier jour de l'année. Pas de poésie en ce jour, mais une fine pluie comme il les détestait. Le genre de pluie fine qu'on sous-estimait toujours et qui pouvait vous tremper en un rien de temps si vous n'étiez pas suffisamment méfiant. De quoi rendre encore plus insupportable la corvée qui l'attendait.

D'ordinaire, même si la chose l'ennuyait, Roderick restait sur les rails que d'autres s'étaient chargé de tracer pour lui. Plus ou moins. Bien sûr, il ne pouvait s'empêcher de dévier légèrement pour placer une de ces plaisanteries. Les journalistes aiment ça, disait-il toujours lorsqu'on lui en faisait la remarque. C'est vrai, ce n'était pas de sa faute, il ne faisait que donner ce que le 'public' attendait de lui ! Le Maire n'avait jamais autant coupé dans son habituel discours qu'aujourd'hui. Bien qu'il fût protégé de la pluie grâce au parapluie tenue par sa gardienne, le Moroï écourta le discours pré-construit en évitant les traditionnelles parties suintant la fausse nostalgie pour se limiter à une liste résumée à l'extrême des événements marquant de l'année écoulée et de ceux, prometteurs qui allaient suivre pour 2016.

Il en était à "Soyez fier d'être ce que vous êtes" ou quelque chose dans le style, une phrase qui aurait servi de conclusion parfaite si une journaliste n'avait pas osé l'interrompre. La fouineuse nommée Molly Jones n'interrompait que trop souvent ces discours de ces questions piquantes. Un constat que Roderick ne manqua pas de tourner en dérision dès que le choc de cette interruption fut passé. Ensuite, il reprit brillamment le contrôle de la situation (de son point de vue tout sauf objectif) et clôtura officiellement son discours.

Roderick poussa un soupir de soulagement et de satisfaction en rentrant dans son bureau après cette petite histoire. "Quel temps !" Commenta-t-il en pliant ces lunettes de soleil qui lui donnait des allures de stars hollywoodiennes pour les ranger dans la poche de sa veste. Il avait quelques minutes avant d'aller au dîner réunissant les personnalités importantes de la ville. Ensuite, il chassa d'un geste dédaigneux les gouttes de pluie qui avait réussi à franchir la protection du parapluie. Triomphant, il se tourna vers Rosie qui entra à son tour dans la pièce. "Alors ? Tu as vu comme ton vieux père à gérer la situation ? J'ai encore quelques As dans ma manche pour ce genre d'interventions surprises." Dit-il en tirant sur ces manches comme s'il cachait réellement des As dedans. Il était assez fier de sa performance, ignorant que son enthousiasme n'était peut-être pas partagé.