Discours du Maire
 

La pluie était au rendez-vous en ce début d'après-midi. Le sourire du maire, aussi éclatant qu'un soleil miniature, semblait vouloir compenser les aléas de la météo. La journaliste Molly Jones se mit sur la pointe des pieds pour entrevoir la scène. De son point de vue éloigné, Roderick Carpenter avait des faux airs de star Hollywoodienne. Sans doute à cause des lunettes de soleil qu'il portait malgré la luminosité tamisée à travers les nuages pluvieux. Les premiers rangs étaient occupés par ces collègues. Des personnes que son chef qualifierait de plus sérieux qu'elle. Rien que ce souvenir lui arracha une grimace. Plus sérieux ? Plus lèche-botte envers les autorités de la ville, oui. Si Molly s'était mise aussi loin pour assister au traditionnel discours de nouvel an, c'était à cause de la brune qui tenait le parapluie au-dessus de la tête du Maire pour le protéger de la fine pluie persistante. Si Hana Brandt, la garde du corps du Maire, croisait son regard, la journaliste ne doutait pas qu'elle soit escortée plus loin. La demoiselle balaya vite cette crainte qui l'obligeait à se tenir sur le qui-vive. Elle ne pouvait être écartée avant d'avoir mis à bien son projet. Voilà plusieurs semaines que le Maire avait réussi à esquiver ces questions. Mais, ici, dans un discours public, il n'aurait aucun échappatoire. Elle avait passé la nuit à mettre au point la tournure de ces phrases pour les rendre les plus mordantes possibles. Qui sait combien en aura-t-elle le temps de poser avant l'intervention du 'toutou du maire' ? Elle allait devoir être rapide et concise. Comme une confirmation de cette pensée, Roderick Carpenter se lança dans son discours.

"Mes Chers Concitoyens, amis de la presse, merci de vous être déplacée malgré la pluie." Commença-t-il sur le ton insouciant qui le caractérisait. Molly ne doutait pas que cette formule toute fête n'avait pas été écrite par le Maire. A force d'entendre les discours de ce dernier, elle commençait à reconnaître la plume de Rosie Carpenter, la fille du maire, et celle de son adjoint, Robbie Forde. Par contre, la petite boutade qui suivit était du Roderick tout craché. "Je vous promets que mon premier décret en cette année nouvelle sera d'interdire la pluie durant mes discours." Quelques rires timides fusèrent pour accompagner celui plus franc (et teinté d'une touche de suffisance) du Maire. Molly, elle, roula des yeux avec agacements avant de se reconcentrer sur la scène. Elle essayait d'estimer quel chemin emprunté à travers la petite foule pour atteindre les premiers rangs. Il faudra éviter les bousculades, sinon, nulle doute que l'œil aiguisé d'Hana Brandt allait la repérer. Tout à son observation, elle rata le regard échangé entre le Maire et sa gardienne qui coupa court au rire de Roderick avec un petit raclement de gorge.

"Mais, plus sérieusement..." Poursuivit-il. En un instant, le Maire avait retrouvé son sourire, comme si cet échange n'avait jamais eu lieu. "J'aimerais vous souhaiter officiellement une bonne et une merveilleuse année. 2015 a été une année extraordinaire." La journaliste paniqua un peu tandis que le discours énumérait les différents événements triviaux de l'année écoulée. Déjà ? D'habitude, Roderick s'éternisait sur ces quinze années en tant que Maire, sur le fait qu'il était un 'enfant du pays' et autres phrases condescendantes du même style destiné à se mettre en avant sous-couvert d'une fausse nostalgie. Était-ce la météo qui l'avait poussé à écourter son discours ? Elle n'imaginait pas le Maire se préoccuper de ces concitoyens, surtout si lui-même se trouve bien à l'abri d'un parapluie. Ou alors, le discours écrit l'ennuyait et il avait décidé de faire des coupes dedans. Voilà qui ressemblait d'avantage au personnage. Dans tous les cas, Molly se retrouvait avec moins de temps que prévu.

"Je vous promets que 2016 le sera d'avantage." La journaliste n'écoutait pas la suite du discours, listant les futurs événements des prochains mois. Des concours, des fêtes, autant d'événements qui pourraient faire croire que Marblehead n'était qu'une ville ordinaire. Une ville sans tache, sans disparitions inquiétantes. Péniblement, elle arriva à se frayer un chemin vers les premières rangées tandis que la voix pleine d'assurance de Roderick continuait. "Pour tout cela, soyons fier d'être ce que nous sommes, fier de notre ville..."

"Monsieur le Maire, 2015 a-t-il été une si bonne année que cela alors que le taux d'affaire classées précipitamment par la police à augmenter ?" Molly avait de son mieux pour cacher son ton essoufflé. Elle tira une certaine fierté de la mine déconfite de Roderick et du regard assassin de sa garde du corps tandis que ces collègues journalistes la regardaient comme si elle venait d'atterrir de Mars. Malheureusement, cela ne dura pas.

"Ah, mademoiselle Jones. Que serait mes discours sans vos interventions ?" Répondit Roderick en faisant un geste condescendant qui provoqua certains rires parmi les détracteurs de la journaliste.

"Vous n'avez pas répondu à la question." Répliqua Molly en essayant d'ignorer les réactions des jaloux.

"J'avoue humblement avoir des lacunes concernant le métier de journaliste, mais... Je dirais que votre question concernerait plutôt notre brillant chef de la Police, Adam Barton." Expliqua Roderick comme s'il parlait à un enfant ou à un simple d'esprit. En un instant, le fameux Adam se retrouvait avec une main du Maire sur l'épaule et tirer sur le devant de la scène. Molly voyait bien que l'homme n'aimait pas être soudainement le centre de l'attention, cependant, ce qu'elle voyait surtout, c'était que son interlocuteur avait repris le contrôle de la conversation. "Un homme qui travaille jour et nuit pour que les rues de Marblehead soient les plus surs de l'État du Massachusetts." Des applaudissements polis conclurent cette déclaration.

Molly savait la bataille perdue, mais tenta une ultime intervention. "Mais..." Commença-t-elle en levant la main pour attirer l'attention. Roderick fut plus rapide. "Sur ce, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter encore une excellente année 2016. Je vois que certains d'entre vous commencent à être impatient de pouvoir s'abriter convenablement de la pluie alors je ne vais pas m'éterniser dans mon discours... "

La journaliste se sentait pousser en arrière par les mouvements de foule tandis qu'une nouvelle salve d'applaudissements servait de clôture au discours du Maire. La déception d'avoir échoué fut remplacée par une nouvelle détermination. Elle allait trouver des preuves que toutes les plaisanteries du Maire ne pourraient tourner au ridicule. Il y avait quelque chose d'étrange dans cette ville de Marblehead et elle allait le prouver.