Apparences trompeuses

Ne jamais jugé un livre à sa couverture.

Si je devais résumer mon histoire, je ne saurais comment m'y prendre, quels mots utilisé, quelles expressions adéquates, quel ton employé ? Si je devais opter pour la simplicité, je me contenterais de dire que j'ai eu deux naissances et deux morts. Reprenons depuis le début si vous le voulez bien ? Mon nom est Oscar Stoker, je suis né le 22 janvier 1800 dans la belle ville de Londres. Le siècle victorien, tant de progrès, d'avancée technique et sociale, j'en serais presque nostalgique. Je suis mort lors du Bal rouge de 1835 et croyez-moi, je n'éprouve aucune nostalgique lorsqu'il me faut me remémorer cette nuit où j'ai tout perdu. Ma seconde naissance eut lieu quelques jours plus tard. Plongé dans les ténèbres que je n'ai plus jamais quittées, je suis devenu une toute autre personne. Les hommes de dieu parlent de démon et les hommes avides d'occultisme parlent de vampire. Un être froid, cruel, un monstre sans âme avide de sang et jamais rassasié. Lui a perduré bien plus que le pauvre humain. Un siècle d'existence avant que la roue tourne et qu'une autre personne obtienne sa vengeance. Ma seconde mort date de 1935, encore à Londres, devant le manoir des Hackers. J'eus l'impression et je l'ai encore, d'être une espèce de Syssiphe qui pousse son rocher jusqu'à un sommet qui jamais ne sera atteint, puisqu'une fois encore, il me faudra tout recommencer. Mes vies furent des cycles et mes morts le sont tout autant. Oui, vous avez bien lu « mes » vies, voilà qu'à présent, il me faut faire une nouvelle mise au point, ou mise à jour comme disent les humains de cette époque. Voilà qu'à présent, il me faut célébrer une nouvelle naissance, que dis-je, me voilà enclin à la renaissance.

Ils ont ouvert ma dernière demeure et telle la boîte de pandore, ils ont libéré une force qui leur échappe. C'est du moins ce que j'aurai pu imaginer, mais il n'en est rien. La mort m'a à nouveau transformé. M'aurait-elle rendu quelque chose que je pensais avoir définitivement perdu ? Le terme « quelque chose » me semblait être le plus adéquat puisque je suis incapable de le définir. Mon cœur se contracte à chaque fois que je pense à ces jeunes qui m'ont sorti de l'eau. J'en ai tué deux, un par nécessité, l'autre de façon hasardeuse. D'ordinaire, ce n'est pas le genre de choses qui m'offusque ou qui attise une pitié quelconque, bien au contraire. Et me voilà à présent ébranlé par la mort de deux humains aussi jeunes que stupides. Des sentiments ?! Quel bien curieux prodige ! Est-il possible que je puisse à nouveau faire preuve d'empathie ? Non-bien sûr que non, c'est impossible. Je suis un strigoi, je baigne dans le sang et la violence depuis ma seconde naissance. J'ai tué tellement d'humains que l'on pourrait aisément parler d'un génocide. Durant un siècle, je me suis évertué à tuer encore et encore, sans pitié, femmes, hommes, enfants… Je suis un monstre et… Que m'arrive-t-il ? Me voilà réduit au silence, je suis incapable de plus, je manque de mots et c'est péniblement que j'évoque mes crimes passés.Je suis alourdi par la culpabilité, tellement que je ne parviens à chasser ce qui me semblait être un exploit par le passé. La Mort de ces jeunes, me hante encore malgré les heures écoulées. Je dois comprendre, faire, taire cette voix insidieuse et immonde qui se glisse en moi, tel le verre dans la pomme. Mais avant toute chose, je me dois de me restaurer pour m'éviter la perte de contrôle. Encore ébranlé par la culpabilité, je jette mon dévolu sur un rat, puis un deuxième. C'est bien peu, je le confesse, mais au moins je ne me sens pas coupable...

L'acouphène pulsatif indicateur de mon état de manque (sanguin) n'est plus, à l'inverse de la culpabilité qui grandit à mesure que j'approche de la plage. Je constate la présence d'étranges bannières jaunes qui font état d'une "interdiction d'avancer" L'ensemble délimite un périmètre. Je comprends alors que je suis sur "la scène de crime", un crime dont je suis malheureusement l'auteur et que je dois porter sur mes épaules.

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Asaël était incapable de dire à partir de quel moment son idée de venir à Marblehead sur un coup de tête était passé du terme bon plan à plan catastrophique s'aggravant de jour en jour. À la réflexion, les termes 'sur un coup de tête' étaient certainement un bon indice. Contrairement à ces autres actions qui n'étaient impulsives qu'en apparence, il s'était lancé dans ce projet sans réfléchir, sans autre plan de voir sur place comment agir. Chose qu'il ne faisait jamais. Maintenant, il comprenait pourquoi.

Heureusement, il restait son travail d'alchimiste. La seule chose qui ne le poussait pas à se demander pourquoi il s'était exilée jusqu'à cette ville du Massachusetts ou à lui faire regretter Las Vegas. Du moins, les parties du travail qui n'incluaient pas des joutes verbales avec sa sœur. Le rôle de nettoyeur était un rôle que beaucoup qualifiaient d'ingrat. Il est vrai qu'être appelé n'importe quand afin de réparer les bêtises des 'dents pointus' (comme il les surnommait non-affectueusement) n'était pas vraiment ce qu'on pouvait qualifier de job transcendant. Surtout concernant la partie : appeler n'importe quand. Généralement, à des heures impossibles. Comme pour ce soir.

A force, il était devenu un expert pour se faufiler hors du lit et y retourner sans réveiller son assistante. Même les moments où il se réveillait avec une Fay écroulée en diagonale sur lui. Ensuite, il s'était habillé en silence et n'avait enfiler ces 'quincailleries' qu'à l'extérieur afin d'éviter de faire trop de bruit. Voir Asaël sans ces bijoux serait comme voir un peintre sans rien sur lui pour dessiner. Bref, passons les détails. Asaël se retrouvait sur la plage déserte, les yeux encore embrumés d'un sommeil trop court pour être réparateur. Malgré son envie de bâiller, il se concentrait sur sa tâche du soir. Un nouveau strigoï avait fait son entrée en ville. Deux humains trop curieux avaient payé cher leurs curiosités. Les détails concernaient les dhampirs ou les chasseurs. Lui, il devait se contenter de nettoyer les preuves du triste repas de cette vermine. Bien que la police locale fût dirigé par un dhampir, il fallait tout de même effacer certaine preuve pour les journalistes trop curieux et les autres personnes ignorant la vérité sur l'existence des vampires qui viendrait fouiner la scène de crime.

L'alchimiste passa la délimitation des bandes jaunes puis il ouvrit sa mallette contenant son matériel avec un geste élégant. Il n'y avait rien de mieux que le travail pour se vider l'esprit. Asaël pensait à quel produit utilisé, quel élément devait disparaitre et lesquels pouvaient rester. Aucune réflexion liée à sa vie personnelle ne venait parasiter ses pensées et s'en était presque un soulagement au vu des derniers événements.

On pouvait dire qu'il avait presque fini lorsque le bruit caractéristique des grains de sable se crissant sous le poids d'un pas se fit entendre. Asaël se figea dans son geste. C'était pour cela qu'il détestait travailler dans des lieux aussi ouverts. Impossible de prévoir une éventuelle interruption. Pour ce genre d'endroit, il n'y avait que la solution de travailler le plus vite possible en espérant ne croiser personne. Ce coup-là, s'était raté. L'alchimiste osa jeter un coup d'œil par-dessus son épaule. Avec un peu de chance, le fait qu'il soit accroupi et l'obscurité jouait en sa faveur. Cette éventualité disparu rapidement de son esprit en découvrant a qui il avait affaire.

Asaël n'avait jamais vu de Strigoï. Son rôle était de passer après l'action. Mais il connaissait et surtout savait reconnaître les signes distinctifs. Nul doute que sa présence avait déjà été repérer par la créature. *Dans ce cas...* Songea-t-il en se relevant. "On vient admirer son oeuvre ?" Lança-t-il au nouvel arrivant avec un cynisme qui laissait croire à une assurance qu'il n'avait pas.

L'alchimiste se forçait à avoir une respiration normale, tandis qu'il analysait les options. Il avait son matériel, certaines potions contenaient des substances suffisamment corrosives pour faire disparaître des corps sans laisser de traces. S'il avait le temps, cela pouvait constituer une bonne diversion. En dernier recours, il y avait sa croix qui se cachait parmi les nombreuses breloques qu'il portait au cou. Tel un participant de duel dans un western, Asaël ne quittait pas le strigoï des yeux, se tenant prêt à plonger vers son matériel au moindre signe agressif. Rêvait-il ou bien voyait-il une drôle d'expression sur le visage de ce monstre ? Comme du remords ou de la tristesse ? Non, il devait sans doute rêver. La peur devait lui faire espérer entre apercevoir quelque chose d'humain chez le Strigoï. Or, ces créatures n'avaient plus d'âmes, c'était bien connu.

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Il s'était écoulé au moins 24 h depuis la découverte du coffre au fond de l'océan. Une découverte qui s'accompagnait de celle de deux cadavres. Deux jeunes dans la fleur de l'âge, qui auraient dû s'abstenir de jouer les aventuriers cette fois. L'imposant coffre avait été traîné par la « Dream Team » comme ils disaient en se sifflant quelques bières. Lorsque la folle équipée découvrit ce « pauvre homme » recroquevillait sur lui-même, elle commit la fatale erreur de se séparer. La bête assoiffée de sang, ne parvint à dompter ses ardeurs et attrapa le premier jeune damoiseau qui osa l'approcher d'un peu trop près. Le manque de sang poussait à son paroxysme, exhorta Oscar de la moindre résistance ce soir-là. Il devait se nourrir, le strigoi laissa donc ses plus bas instincts prendre le contrôle total de son corps et de son esprit, pour le pousser à commettre une fois encore l'impardonnable. Il sirota le pauvre jeune homme sans prendre aucun plaisir, lui qui mourrait pourtant de soif. Tout se passa tellement vite, que le second adolescent, eut à peine le temps de crier pour ameuter les autres. En effet, dans une maîtrise parfaite, malgré son état de faiblesse, Oscar se précipita sur le malheureux pour lui briser la nuque. Il n'eut cependant pas le temps de s'abreuver une seconde fois et le laissa donc s'écrouler lourdement contre le sol. Passé cette lâche attaque, la créature, affaiblit, se réfugia sous le ponteau, espérant ainsi pourvoir reprendre quelques forces avant que le jour ne se lève.


Plus de vingt-quatre heures s'étaient donc écoulées depuis. Vingt-quatre heures soit mille quatre cent quarante minutes et quatre-vingt-six mille quatre cent secondes, tout un monde en somme. Il peut se passer beaucoup de choses en vingt-quatre heures, Oscar était bien placé pour le savoir. Après sa fuite de l'hôpital, le strigoi s'était lancé dans la quête incertaine d'un logis pour se protéger du jour à venir. Il marcha durant de longues minutes, qui se convertirent bien malgré lui en heure. La peur au ventre en voyant l'horizon s'éclaircir, il avait compris que le compte à rebours touchait à sa fin et qu'il serait pris au piège s'il ne parvenait à trouver un abri. À noter, qu'il est bien difficile pour être ayant passé près de soixante-dix années enfermé, de se repérer dans un monde tel que le nôtre. Le cœur battant la chamade, notre héros malheureux pu compter sur la chance (si l'on puis dire) et sur quelques bonnes âmes sans domicile qui ce soir squattaient un vieil entrepôt désinfecté. La journée fut paisible, la plupart des sdf quittèrent l'entrepôt pour aller mendier et trouvaient de quoi manger. D'autre restèrent pour veiller sur leur nouveau squatte, empêchant ainsi un autre groupe de s'installer, car à n'en pas douter, sur le marché non-immobilier, ce bien était très convoité. Oscar, qui avait élu domicile dans les sous-sols, à l'abri des regards et du soleil, n'avait malgré les quelques décennies de sommeil forcé, pas résister à l'appel de Morphée et sombra lorsque le soleil se leva. Sa léthargie s'étira sur plusieurs heures et quand enfin le soleil consentit à se coucher, notre strigoi quitta sa méditation.


A présent, c'est la faim qui hantait son esprit, son précédent repas était vite passé et pour cause, il est difficile de combler soixante-dix ans de disette. Ses oreilles commencèrent à bourdonner, puis lorsqu'il quitta sa chambre d'un jour, il se laissa happé par cette espèce d'acouphène pulsatif qui laissait entendre la présence de plusieurs humains. Leurs cœurs battaient à vitesse constance, un délice pour les oreilles du vampire qui continuait malgré tout à lutter contre l'odieuse tentation. Mais le pouvait-il ? Pouvait-il se laisser mourir juste par acquit de conscience ? Si seulement, c'était aussi simple, si seulement il n'avait pas cette foutue âme… Malheureusement pour lui, il était, en de telles conditions, difficiles de faire entendre raison à la bête affamée. L'acouphène redoubla en intensité, rendant la lutte encore plus âpre, la faim gagnait du terrain et semblait à présent difficile à faire taire. Le strigoi se traîna jusqu'à l'étage et se précipita sur le premier malheureux à sa portée. Pour éviter les cris inutiles, il brisa la nuque de l'homme qui s'étala lourdement contre le sol poussiéreux du vieil entrepôt. Aussitôt le strigoi se précipita sur le corps sans vie et planta ses canines dans le cou du malheureux. Le sang était encore frais, mais le goût n'avait plus aucune saveur pour Oscar qui se nourrissait pour survivre et non par plaisir. Passé cet intermède gustatif et sanguinaire, le vampire attendit que le soleil se couche totalement et quitta les lieux s'en se faire voir. Pas fier de ce qu'il venait de faire, il marcha le cœur lourd sans but aucun.


Après plusieurs kilomètres et de longues minutes de réflexion, il arriva sur les lieux de son premier méfait. Sans difficulté aucune, il survola le mur de pierre qui séparait le trottoir de la plage et se retrouva sur le sable. Il constata la présence de plusieurs bannières jaunes à l'endroit même où s'étaient trouvés les corps de ses premières victimes. Mais plus encore, il remarqua la présence d'un homme, accroupit dans le sable à l'intérieur du périmètre. Il s'approcha donc sans crainte, mais emplit de curiosité. Que faisait-il là au beau milieu de la soirée ? Et que contenait l'étrange mallette à ses côtés ? L'acouphène pulsatif entrava à nouveau les sens du strigoi. L'homme avait peur de toute évidence et cherchait à faire taire ses craintes en arborant une assurance qu'il n'avait pas. Oscar l'observa de la tête aux pieds et comprit au vu du matériel qui traînait qu'il n'avait surement pas à faire à un humain lambda. « - Inutile de vous parer d'une assurance que vous n'avez pas ! Il est aisé pour ma personne de déceler la peur. Inutile de brandir vos breloques, je ne vous attaquerai pas. Je ne suis point en manque d'hémoglobine. » Il s'approcha prudemment du jeune homme et l'observa d'un peu plus près. « - Quant à votre précédente interrogation, je me contenterai d'un « non ». Je ne voulais pas faire ce que j'ai fait. De ce fait, je n'éprouve aucune joie en pensant à ce que j'ai fait subir à l'un de ses garçons. Mais passons, puis-je au moins savoir qui vous êtes et ce que vous faites ? » Il désigna la mallette du regard. « -Suis-je dans l'erreur, en pensant que vous êtes en train de nettoyer ce qui se trouve dans le périmètre dressé à l'aide de ses étranges bandes jaunes ? »

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Rencontrer un Strigoï lors d’une mission, c’était comme croisé la route d’un tigre pendant qu’on faisait un reportage photo dans une jungle lointaine. On savait que le risque existait, mais on espère que ce cas de figure ne se concrétisera jamais.
Manque de chance pour lui, cela avait fini par arriver. Asaël y fit face avec une assurance feinte. Il savait que son attitude désinvolte ne tromperait pas le nouveau arrivant tout comme il se savait à cours d’idée pour lui échapper. Bien sûr, il y avait sa croix, caché parmi ces breloques autour du cou et son matériel alchimique dans sa mallette. Ces deux options incluaient d’être plus rapides que la créature en face de lui si cette dernière se décidait à attaquer ou de le prendre par surprise en prenant les devants. Deux choses impossibles, en somme. À moins d’un miracle. Or, l’Asiatique avait beau être croyant, il avait conscience des probabilités plus que basse de bénéficier d’une telle chance.

« Ma foi, vous ne pouvez pas me reprocher d’essayer. » Fit-il remarquer toujours avec humour lorsque le Strigoï lui assura qu’il était inutile de vouloir cacher sa peur. « Ne m’en veuillez point si je garde mes breloques, comme vous dites, ou si je ne vous crois pas sur parole. C’est à cause d’un petit quelque chose qu’on appelle communément instinct de survie. » Sur cette parole, il esquiva une légère révérence, tout en ne quittant pas son étrange interlocuteur des yeux. Au fond, s’il n’avait pas de fortes chances d’être sur le point de mourir, il aurait presque trouvé la situation comique. Ce Strigoï et sa manière étrange de parler, datant au minimum du siècle dernier, que l’alchimiste n’avait pu empêcher d’imiter en forçant le trait. Même s’il était inutile de feindre l’assurance, lui en avait besoin. Ainsi, il évitait de penser à des choses déprimantes comme par exemple, les circonstances dans lesquelles on allait retrouver son cadavre. « Depuis quand le manque d’hémoglobine empêcherait-il les monstres de chasser ? » Souligna-t-il avec un haussement de sourcil perplexe, comme pour tester la promesse de Strigoï. Sa voix s’était faite un peu plus dure, quittant pendant quelques instants le ton badin qui avait été le sien jusqu’à présent.

Instinctivement, Asaël recula d’un pas lorsque l’homme s’approcha prudemment. Sur le moment, l’alchimiste se moquait bien de piétiner les preuves qu’il était venu faire disparaître. La rencontre avec un Strigoï avait le don de vous faire revoir l’ordre de vos priorités. Devant ce recul purement instinct, l’Asiatique émit un petit rire. « À nouveau, vous ne pouvez pas m’en vouloir d’être prudent. » Plaisanta-t-il avec un geste à la fois apaisant et sophistiqué de la main.

Sa perplexité put grandir d’avantage en entendant la suite des paroles de son visiteur surprise. Son visage se peignit avec un sourire en coin incrédule. « Un ‘dents pointues’ qui ne prendrait aucun plaisir à tuer ? Quel talent d’acteur, bravo. Si je n’avais pas autant peur pour ma vie, j’aurais applaudi. » Un Strigoï avec des remords ? En voilà une bonne blague. Une ruse, très certainement, pour lui faire baisser sa garde. Un jeu sadique pour jouer avec sa nourriture. À moins que ce soit lui qui imagine voir des sentiments humains chez un monstre afin de se raccrocher à l’espoir fou de survivre à cette nuit. Les explications ne manquaient pas. Celle d’un monstre ayant retrouvé son âme n’en faisait pas partie. Malgré l’impression de jouer avec le feu, Asaël ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine curiosité.

Ce fut à son tour d’être interrogé. Quelle étrange conversation, vraiment. « Vous avez vu juste. » Félicita-t-il. Il s’approcha de la mallette en question pour s’en saisir. Ensuite, Asaël la brandit devant lui dans un geste élégant, comme s’il s’agissait du premier prix d’un concours. « Mon rôle est de faire disparaître les traces que des créatures comme vous laissent après leur souvent très salissant repas. » Commenta-t-il avec une grimace de dégoût qu’il n’essaya pas de cacher. Après ces brèves explications, il osa laisser parler sa curiosité : « Suis-je votre premier Alchimiste ? » Asaël avait failli ajouter qu’il ne proposait pas de goûter pour tester la saveur de son sang. Il savait reconnaître la boutade de trop.

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Oscar observa silencieux son « curieux » interlocuteur. Curieux sous bien des égards. Déjà de par sa façon de se comporter, de s'exprimer arborant maladroitement une fausse assurance pour tenter, vainement, de ne pas laisser paraître sa peur. Une curiosité également vestimentaire, qui poussa le strigoi à l'observer davantage. Jamais encore, il n'avait vu pareil spécimen depuis sa sortie de l'océan. En même temps, il ne pouvait prétendre avoir acquis la moindre expérience en 24 heures. Toujours est-il, qu'il avait, sans l'ombre d'un doute, affaire à un original, disons-le franchement, un excentrique. Qui jaugeait à présent ses probabilités de survie face à un tel monstre. « - Vous savez que je peux lire dans vos pensées, si l'envie m'en prends ! De ce fait, je n'aurai aucun mal à percevoir la peur. Mais voyez-vous je crois qu'il serait impoli d'agir de la sorte alors que nous ne nous connaissons point ! » Il observa à nouveau les chères « breloques » du jeune homme et comprit ainsi qu'il avait affaire à un connaisseur de l'occulte qui ne pouvait se résoudre à avoir confiance et qui préféra, au nom de son instinct de survie, garder son bazar à proximité. « -Bien, je ne m'en offusque pas, faites donc ! » L'humain lui fit une révérence, qui donna lieu à un tressaillement de sourcil de la part du vampire. « - Là en revanche je pourrais m'offusquer ! La révérence exprime traditionnellement la considération de la personne qui l'exécute envers la personne qui la reçoit. De ce fait, au vu de la situation, je pense que vous esquissez une bien mauvaise caricature de ma personne. Quant à votre interrogation, somme toute légitime, je dirais que certains "monstres" font figure d'exception, je suppose. »


Le jeune asiatique, toujours sur ses gardes, ne manqua pas de reculer d'un pas lorsque le vampire tenta de s'approcher prudemment. « -Oui effectivement, je ne peux vous en vouloir d'être prudent, mais laissez-moi vous dire que si l'envie de vous tuer m'avait traversé l'esprit, je l'aurais déjà fait depuis longtemps. Et vous n'auriez pas eu le temps de vous parer de vos breloques pour vous protéger ! » Par la suite, arborant toujours ce grand vide dans le regard et cette absence lointaine, le strigoi consentit à livrer « une petite » confession à son interlocuteur qui toujours sur la réserve se permit de remettre très fortement en doute la véracité de sa confession. Oscar laissa paraître un petit rictus sur son visage pâle comme la mort. « -Je suppose que vous êtes ironique ! Vous continuez à avoir peur, vous demandant sans cesse comment vous sortir de ce bourbier et si vous allez survivre à cette tentative. Vous ne me croyez pas lorsque je vous dis avoir des remords, soit ! Je ne m'en offusque pas. » Et en effet, ça ne lui faisait rien et puis ça n'est pas comme si Asael c'était pissé dessus, le jeune asiatique gardait bonne figure malgré la peur et parut même un tant soit peu sympathique aux yeux du strigoi qui posa son regard sur l'étrange mallette de son interlocuteur, se laissant à son tour piqué par la curiosité.


« -Il m'arrive de ne pas me tromper de temps en temps. » Il observa dès lors l'étrange mallette qu'Asael venait de brandir élégamment en apportant quelques explications sur son rôle de « nettoyeur » Le vampire laissa à nouveau paraître un petit rictus suite à la grimace de dégoût de son jeune interlocuteur « -Un humain ne peut qu'être dégoutté devant un tel spectacle. Pour votre gouverne, j'ai brisé la nuque du second adolescent, donc pas de trace. Quant au premier, je confesse quelques gouttes de sang, mais rien de méchant comparé aux autres festins ! » Le rictus disparut peu à peu, laissant paraître une grande lassitude dans le regard, tandis qu'Asael étalait au grand jour sa fonction, au grand étonnement d'Oscar. « - Un alchimiste ?! Dites-moi si je m'égare, mais l'alchimie n'est-elle pas un ensemble de pratiques et de spéculations en rapport avec la transmutation des métaux ? N'êtes-vous pas enclin à la réalisation du « grand œuvre » ? A la recherche de la panacée et de la prolongation de la vie via un élixir de longue vie ? Peut-être n'est-ce que du fantasme ! Je me souviens qu'à mon époque, les alchimistes étaient considérés comme les vestiges d'une époque révolue. Je me souviens aussi d'un homme qui se faisait appeler Fulcanelli. Il définissait l'alchimie comme… » Il se tue pour chercher dans sa mémoire les quelques citations de cet alchimiste qui faisait encore parler de lui à son époque. « -… une science hermétique, une chimie spiritualiste qui tente de pénétrer le mystérieux dynamisme qui préside la transformation des corps naturels. Je me souviens qu'il avait un élève, un certain Canseliet. Ce dernier aurait prétendu que son maître étant détenteur du « don de Dieu », à savoir l'immortalité et qu'il aurait de ce fait vécu jusqu'à 113 ans. Je pense que c'était l'un des nôtres. Voyez, j'ai beau être un monstre comme vous le dites et je ne le conteste pas, j'ai néanmoins pris le temps de me cultiver. Toujours est-il que je ne comprends pas pourquoi un alchimiste est employé pour ce genre de besogne. » Il se tue à nouveau, mais pas assez pour que le jeune asiatique n'est le temps de répondre. « -Ce n'est pas qu'un simple travail de nettoyage n'est-ce pas ? Bien plus que les traces, vous effacez la vérité ! Les humains lambda ne connaissent pas notre existence, je me trompe ? »

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L'espoir était quelques choses d'horrible. Asaël avait conscience de n'avoir aucune chance face à ce visiteur surprise, ce monstre appartenant à la race nommé Strigoï dont il connaissait le moindre talent cruel. Pourtant, une infime part de lui continuait à chercher et espérer une issue favorable. Les moyens ne manquaient pas, le problème était son temps de réaction qui serait trop lent, quelles que soient les options qu'il tenterait cela équivaudrait à un geste certainement désespéré avant de mourir.

Pour l'instant, la créature ne semblait pas pressée de passer à l'attaque. Espoir fou et fatalité devant ce qu'il pensait une fin certaine se bataillait en lui. Il semblait intrigué son interlocuteur improvisé, ce qui poussa Asaël à se retrancher encore d'avantage dans son extravagance habituel afin d'entretenir la flamme de ce fol espoir.

"Et je vous remercierais de vous tenir loin de l'intérieur de ma tête." Commenta-t-il avec un geste élégant de la main qui fit légèrement tinter ces bagues alors qu'Oscar révélait pouvoir lire dans ces pensées.

Au fond, si sa vie n'était pas en danger, l'alchimiste aurait certainement trouvé cette discussion très amusante. Il se calquait sur la manière de parler de son interlocuteur, usant de termes dépassés depuis longtemps et allant jusqu'à faire une imitation de révérence à la fin de sa phrase. Chose qui visiblement déplut au Strigoï.

"J'entends bien. D'un autre côté, je peux avoir fait cette révérence par sarcasme, en tant que mécanisme d'auto-défense pour masquer ma frayeur devant vous, tout comme je pourrais l'avoir fait dans le but de vous faire croire à mon respect afin de m'attirer vos bonnes grâces. Dans les deux cas, j'ai l'impression que nous sommes face à un choc générationnel." Objecta-t-il avec politesse.

Lorsque le visiteur s'approcha, Asaël recula d'autan de pas afin de garder intacte la distance les séparant. Devant ce réflexe, il émit un bref rire en déclarant qu'on ne pouvait lui en vouloir d'être prudent.

"J'ai conscience de n'avoir aucune chance face à vous. Vous n'avez rien à craindre de moi et moi, à l'inverse, j'ai tout à craindre de vous." Avoua-t-il avec franchise. Oui, même l'As qu'il cachait pour les coups durs, sa croix autour du cou, il ne pourrait s'en servir à temps. Comme il le disait, il était complètement à la merci de son interlocuteur. "Disons que cela me rassure de savoir que je peux essayer. Votre déclaration ne prouve pas que je suis en sécurité puisque votre espèce peut se montrer aussi joueuse avec ces proies qu'un chat avec une souris. Peut-être devrais-je faire comme Shéhérazade et piquer votre curiosité avec ma personnalité et mes histoires suffisamment longtemps pour espérer survivre à cette nuit ?" Plaisanta-t-il de nouveau.

Tenir jusqu'au lever du jour, cela sonnait comme le plan de la dernière chance. Un plan tellement ridicule qu'il aurait volontiers ri de sa propre naïveté. Malgré son manque de foi envers les paroles d'Oscar, la curiosité d'Asaël était piqué devant cette insistance concernant les remords. "Oui, c'était de l'ironie, ravi que cela existait déjà à votre époque. C'est vrai que je continue d'avoir peur et de chercher désespérément une porte de sortie. C'est le propre de l'Etre Humain d'espérer jusqu'au bout. J'aimerais vraiment vous croire lorsque vous parler de remords, mais votre race se prête peu à la confiance." Continua-t-il d'argumenter sur un ton posé.

La peur avait laissé place à une certaine forme de fatalité. Bien qu'il continuât d'espérer et chercher une échappatoire à cette rencontre, il était aussi certain qu'aucune de ces tentatives ne réussiraient. L'alchimiste se faisait à l'idée de ne peut-être pas survivre à cette nuit. Demain matin, un de ces confrères fera disparaître ce qui resterait de son corps. Son inquiétude ne se portait pas sur sa mort, mais sur l'après. Sa soeur saurait la vérité puisqu'elle était également alchimiste. Est-ce qu'elle le traitera d'idiot pour la dernière fois pour s'être rendu seul sur la plage ? En serait-elle triste de perdre pour la deuxième fois un frère ? Et ces amis, qui n'étaient pas dans le Secret ? Quelle excuse s'affichera dans le journal local ? Sera-t-il porté disparu ou bien les journalistes broderont une jolie histoire autour de sa mort ? En tant qu'Alchimiste, il vivait dans le mensonge, il était logique que sa vie s'achève de la même manière.

La curiosité du strigoi sur sa mallette le tira de ces pensées morbides. Il ré-afficha un sourire de façade en félicitant son visiteur pour la bonne réponse. Puis, il profita de l'occasion pour se saisir de la mallette en question et se rapprocher de son matériel par la même occasion tout en apportant des explications rapides sur son rôle. Oscar raconta ces prouesses concernant les victimes de la plage. L'Asiatique nota silencieusement que si le récit commença avec un rictus, il se termina avec une certaine lassitude dans le regard. "Bien, vous m'avez donc épargné beaucoup de travail." Commenta-t-il à la place sur un ton des plus neutre.

Ce fut à son tour de laisser parler sa curiosité en demander s'il était le premier alchimiste du strigoï. Son sourire s'agrandit devant l'étalement de la culture de son interlocuteur. "Donc, je suis votre premier alchimiste." Conclut-il avec satisfaction. "Parfait ! J'aime marquer les esprits." Sur cette conclusion, il fit un pas en avant, à croire que ce fait rendait sa mort plus acceptable. Son envie d'apprendre ne pouvait être que titiller par l'histoire concernant ces fameux Fulcanelli et Canseliet. Son regard brillait de curiosité devant les questions de son interlocuteur. "L'un des vôtres ou l'un des miens, allez savoir." Il fallut qu'Oscar rappelle sa condition de monstre pour qu'Asaël tue dans l'oeuf ces tentatives de demander des détails sur cette vision de l'ordre provenant d'une autre époque. Comme il s'y attendait, Oscar en tira vite la conclusion qui s'imposait concernant le véritable objectif de sa présence ici. Face à ce raisonnement correct, Asaël acquiesça et s'inclina tel un artiste saluant son public. "Les humains ne sont pas prêts pour la vérité." Affirma-t-il avec un sérieux qui tranchait avec le ton badin qu'il avait employé jusqu'à présent. "Nos motivations sont variées, mais notre but reste le même. Nous gardons le secret. Nous les protégeons des coulisses, pour qu'ils continuent d'apprécier ce spectacle que représente la vie." Pour renforcer l'impression de discours, il fit quelques gestes élégants afin d'illustrer ces propos. "Quelle importance cela pourrait-il avoir pour vous ? Les humains ne sont que de la nourriture à vos yeux, ou, au mieux, des jouets. Si vous vous lassez de cette conversation et décider d'en finir avoir moi, quelqu'un viendra faire disparaître ce qui restera de mon corps avant l'arriver de la police." Il eut un mouvement d'épaule dans une attitude résignée. "N'êtes-vous pas rassuré de savoir qu'il y aura toujours quelqu'un pour nettoyer derrière vous ?"

Décidément, il tirait trop sur la corde. Cependant, c'était plus fort que lui, il se devait d'aller au bout de sa curiosité. Puisqu'il était peu probable de survivre à cette conversation, autant au moins la satisfaire jusqu'au bout avant la fin.