Une semaine de plus au compteur, et pas des moindres puisque les urgences avaient été littéralement surchargées puisque avec l’arrivée de l’été, les accidents domestiques allaient bon train. Sans parler du fait que deux urgentistes étaient partis en vacances. Eva avait donc été blindée de travail. Le jour de repos du Dr Cortez arrivait enfin, elle n’avait pu prendre les deux derniers qui s’étaient présentés à cause du manque d’effectif et du nombre croissant de patients nécessitant une intervention urgente, mais cette fois, ayant cumulé trop d’heures en peu de temps, elle n’aurait pas le choix que de le prendre, ce jour de repos, et ne serait donc pas bipée. Treize gardes d’affilée dont deux remplacements au pied levé, ce qui lui avait fait enchainé vingt-quatre heures de garde deux fois dans la même semaine.

Oui, elle était épuisée, mais il était hors de question de faillir à la tradition qu’elle avait instaurée avec Kaili, qui consistait à faire la tournée des bars la veille du jour de repos tant attendu. Avant, Asaël l’accompagnait, plus souvent de force que de gré, et avec Kaili, ils formaient un super trio. Asa lui manquait tellement. Il avait été celui qui avait séché ses larmes lors de son énorme chagrin d’amour qui fit faire à Eva une croix sur les relations sérieuses. Asa avait été là après la mort de ses parents. Il comprenait mieux que quiconque ce que c’était que de perdre un être cher. Mais à son tour, il s’était volatilisé. Depuis deux ans et demi, les deux anciens colocataires avaient pris leur indépendance, et l’asiatique ne donnait que peu de nouvelles, tandis que la jeune chirurgienne essayait d’entretenir leur amitié.

Kaili mettait du temps à arriver, apparemment elle était coincée dans les embouteillages entre Salem et Marblehead, et le Dr Cortez en était déjà à son second martini blanc, en attendant son amie. Le nouveau barman de l’établissement était, fort heureusement, carrément mignon, une aubaine car ça permettait à la jeune femme de ne pas trop s’impatienter. Accoudée à sa table, elle ne quittait plus des yeux ce blondinet aux fesses si attrayantes qui s’activait à servir les nouveaux clients tout en affichant un sourire ravageur, tandis qu’elle sirotait son verre, se balançant au rythme de la musique, tâchant de zapper de son esprit tout ce qui s’était passé au cours de cette longue journée de travail qui avait duré… environ trente-six heures !

Soudain, quelque chose d’autre attira l’attention de la belle brune. Un autre jeune homme. Pas pour les mêmes raisons. Ce brun, asiatique, mignon, ressemblait à s’y méprendre à Asaël, à ce détail près que cette attitude désinvolte et ce look de gangsta avec la chemise ouverte jusqu’au nombril, des fringues à clous et les bling-blings, ce n’était pas du tout Asa ! Eva manqua de s’étouffer en avalant de travers sa gorgée de martini qu’elle failli recracher par le nez lorsqu’elle le vit. Elle jeta machinalement un œil à son verre. Ce n’était que le deuxième, elle ne pouvait pas avoir d’hallucination après seulement deux verres de martini ! Ses yeux noisette se reposèrent sur celui dont elle ne doutait plus de l’identité et qui ne l’avait visiblement pas encore remarquée. Elle se leva, avala le reste de son verre d’une traite avant de le reposer sur la table, et se dirigea d’un pas assuré vers son ancien colocataire.

-Asa ? C’est bien toi ? demanda-t-elle, mi souriante mi étonnée.

Sans le faire exprès, elle le dévisagea de haut en bas, n’en croyant pas ses yeux. Lui qui avait toujours été si discret, avec un look passe partout, le voilà à présent en mode bling-bling hyper voyant.

-Tu as tellement changé… Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu revenais dans le coin ?

Puis, se laissant aller à l’émotion du moment, elle le prit dans ses bras ?

-Tu m’as tellement manqué, je suis si heureuse de te revoir !

Soudain, tous les agréables souvenirs de leurs cinq années de colocation refirent surface. L’emménagement, puis la première fois qu’Eva avait trainé Asa dans un bar pour fêter sa première semaine d’internat de chirurgie à laquelle elle avait, selon ses dires, « miraculeusement survécu », et tous les autres prétextes pour sortir faire la fête, la première cuite de l’asiatique, les soirées passées à l’appartement où il l’aidait à réviser (il était parfois plus stressé qu’elle à l’époque des examens), les soirées devant un film à manger des tonnes de popcorn, les essais culinaires ratés et les fou-rires qui allaient avec… Tant de choses avaient été partagées. Eva se demandait ce qui avait se passer dans la vie de son ami. Il était devenu si secret, si distant. Pourquoi ce silence-radio ? Il fallait insister des lustres pour avoir une réponse, et encore, elle était évasive. Sans pour autant attendre des comptes, le Dr Cortez espérait qu’elle aurait enfin l’occasion d’en apprendre un peu plus.

Cela aurait pu se passer plus mal. Du moins, c'est dont il essayait de se persuader. Depuis son arrivée à Marblehead, il avait assisté à une réunion au centre des alchimistes, faillit finir sur une chaise de torture, interrompu une discussion entre sa sœur et son assistante, vu certains de ces mensonges percés à jour, sa sœur a manifesté le désir de le voir quitter la ville au plus vite. Et cela ne faisait que deux jours qu'il était ici ! Cela aurait pu se passer plus mal, il ne savait pas comment, mais le pire était certainement possible. D'un autre côté, la nuit était encore jeune. Tout pouvait effectivement encore se produire.

Il aurait dû suivre sa première impression et suivre Fay alors qu'elle avait quitté la chambre. Laisser Guéwen en plan. Aurait du... L'alchimiste fut presque choqué de penser ainsi. Depuis la mort de Zacharie, il s'était concentré sur le présent sans avoir de regret sur ces paroles ou ces actions. Ici, il avait vu les signes et avait choisi de les ignorer ou, plutôt, il avait pensé que cette situation pouvait attendre la fin de sa discussion avec sa sœur. Maintenant que cette visite surprise était finie et qu'il se retrouvait à chercher après Fay, il réalisait avoir sous-estimé les ennuis dans lesquels ces mensonges par omission l'avait fourré.

Le magicien portait toujours la tenue qu'il avait choisie pour la réunion. Une tenue qui restait tape à l’œil comme quasiment toute sa garde-robe mais qui avait une coupe un peu plus classique que d'habitude. Au bout du deuxième bar, il avait déboutonné sa chemise, laissant apparaître toutes les breloques qu'il portait autour du cou. Le col fermé lui laissait une impression oppressante qu'il ne supportait plus. Sans doute parce que son assistante restait toujours introuvable. Comment pouvait-on perdre une albinos ? Un vrai mystère.

Il en était venu à se diriger vers le port, on pouvait dire qu'il avait sillonné tous les bars possibles de la ville ! Il espérait vraiment retrouver Fay ici, car, sinon, il n'avait pas la moindre idée de l'endroit où elle aurait pu se réfugier. Elle n'aurait tout de même pas cherché à quitter la ville, tout de même ? Le prestidigitateur dénotait dans ce nouveau décor, mais il ne s'en formalisa pas, tout comme il ne prêta pas attention aux éventuels regards surpris, trop concentrer à essayer d’apercevoir la petite tête blonde de son assistante. Concentré sur sa recherche, Asaël ne s'attendait certainement pas à retrouver Eva dans ces conditions. Ce n'est que lorsqu'il entendit le 'Asa' qu'il s'arrêta net. "Il n'y a qu'une seule personne qui m'appelle ainsi." Nota-t-il à voix haute avant de se tourner et avoir les confirmations que ces oreilles ne lui avaient pas joué un tour. La surprise fit place à un sourire. "Eva ! En voilà un joli fantôme des noëls passés." S'exclama-t-il en faisant un grand geste, tel le chef d'une soirée accueillant un invité.

Eva le dévisagea de haut en bas. Si Asaël avait l'habitude de ce genre de réaction, le subir de la part de son ancienne colocataire le fit se sentir... Ridicule. Une sensation inédite qui ne dura qu'un bref instant, fort heureusement. Eva l'avait connu avant qu'il n’opère un revirement à 180 degrés dans sa vie. La revoir dans ces conditions lui donnait l'impression d'être déguisé, soulignait le caractère inhabituel du look qui était le sien depuis des années. C'était pour cela qu'il avait coupé les ponts avec son passé, du moins, autant que cela était possible et s'était montré distant jusqu'à présent. Maintenant qu'il ne pouvait plus fuir, l'alchimiste hésita sur l'attitude à adopter.

"J'ai pris le pli de Las Vegas." Déclara-t-il avec un sourire. "Et c'était un voyage improvisé sur un peu sur un coup de tête, je ne suis là que depuis un jour ou deux et je n'ai pas eu une seconde à moi depuis mon arrivée." Avec n'importe qui d'autre, il aurait glisser une remarque du genre 'tu sais comment je suis' pour justifier l'aspect improvisé de ce voyage, sauf qu'il était en face de la seule personne avec qui ce genre de phrase ne collerait pas. Eva l'avait connu à une époque où il ne prenait aucune décision sans y avoir longtemps réfléchi. Difficile de lui faire croire que sa venue à Marblehead n'était qu'une envie soudaine. "Sinon je..." Avant qu'il ne puisse en dire d'avantage, son interlocutrice le prit dans ces bras. Un geste qui le prit totalement par surprise. Depuis son retour au Nevada, il avait mis une distance avec les autres. Distance, qu'il camouflait derrière des manières faussement familière et voilà que la chirurgienne venait de franchir cela en un temps record, renforçant son impression première de ne pas savoir sur quel pied dansé en compagnie de ce fantôme des noëls passés.

"A mon tour de te détailler de pied en cap." Décida-t-il en éludant la dernière déclaration au passage. Le magicien joignit le geste à la parole en plaçant ses mains en dessous du menton d'Eva, dans un geste maniéré pour la pousser à relever un peu la tête. "Hum." Dit-il en faisant la moue, tel un critique d'art sur le point de rendre son verdict. "Je vois tout les signes de plusieurs gardes consécutives. Rien que plusieurs verres de martini ne puissent guérir." Conclut-il avec un sourire malicieux en lâchant le menton de la chirurgienne. Encore une différence. Avant, il aurait plutôt poussé à la tempérance concernant le Martini. Ensuite, il claque des doigts en affichant l'expression de qui venait d'avoir une idée lumineuse. "Si j'arrive à monter un spectacle dans le coin, il faudra absolument que je t’envoie une invitation." Oui, il continuait à s'accrocher à cette excuse. De toute façon, s'il devait s'éterniser dans cette ville (et rien que le fait que sa sœur voulait le voir partir était une motivation suffisante), Asaël ne se voyait pas vivre loin de la scène. Au pire, il tenterait sa chance à Salem ou Boston. "Du moins, si j'arrive à retrouver mon assistante." Continua-t-il sur un ton légèrement ennuyé, à la manière d'un caillou qu'on découvre dans sa chaussure. "Tu ne l'aurais pas aperçue ici, par hasard ? Blonde, le teint blafard, et très certainement donnant l'impression d'avoir vu toute sa joie de vivre se briser devant ses yeux ?" Tout en faisant cette description sommaire, il lança un bref regard aux alentours. L'alchimiste essaya de camoufler au mieux l'espoir qu'il avait de recevoir une réponse positive à cette question. Pour camoufler son intérêt pour la réponse, il ajouta avec malice : "d'habitude, elle se volatilise sur scène et non au milieu d'une conversation." En détournant la conversation vers ce sujet, il espérait aussi devoir éviter de justifier son attitude distante face aux nombreux messages d'Eva depuis qu'il avait opéré un changement radical dans sa vie.

C’était tout simplement incroyable ! Non ce n’était pas le mot, c’était plutôt inespéré qu’il fallait dire ! Asaël était là, dans le même bar qu’Eva, alors que cela faisait deux longues années que les anciens coloc inséparables ne s’étaient pas revus, au grand désarroi de la jeune femme. Mais à présent, le destin semblait avoir été d’humeur à les réunir, au moins pour une soirée, et la chirurgienne était ravie. Bon, elle avait certainement manqué de tact en le dévisageant des pieds à la tête, mais il fallait dire que rien ne laissait présager de le voir ainsi vêtu. Un changement plus que radical par rapport au garçon qu’il était lors de son départ pour soin Nevada natal. Il évoqua alors Las Vegas, ce qui sembla être une excuse tout à fait valable. Après tout, c’était son rêve que d’être magicien. Eva sourit.

-Alors tu as réussi, tu fais enfin ce que tu veux. Je suis si fière de toi Asa !

Se détachant de son étreinte, elle l’invita à s’asseoir. Ils avaient deux longues années à rattraper, enfin, c’était surtout Asa qui avait des choses à lui dire, étant donné qu’il était resté assez réservé sur sa vie, tandis que son amie lui racontait tout dans les moindres détails ou presque.

-Un voyage sur un coup de tête ? Waow, c’est tellement… pas toi ! Que de changements ! Raconte-moi tout, je veux tout savoir ! lança-t-elle avec l’excitation d’une petite fille à qui l’on aurait promis un poney.

Le sourire ne quittait plus les lèvres de la chirurgienne. Si le magicien avait changé, il semblait en être des plus heureux, alors elle ne pouvait que l’être pour lui, et elle était bien curieuse de connaître un peu la nouvelle vie qui était la sienne. Il avait à son tour observé son ancienne colocataire qui, malgré le maquillage et l’air enjoué, ne pouvait camoufler la fatigue qui se lisait sur son visage. Elle se contenta de hausser les épaules avec un petit sourire.

-Au-delà de quarante-huit heures de garde, on arrête de compter. Cette semaine a été un peu compliquée.

Elle ne put s’empêcher d’hausser les sourcils avec un sourire en coin lorsqu’Asa évoqua un remède miracle : le Martini. Lui qui avant, n’avait de cesse de mettre en garde Eva sur sa consommation d’alcool, à présent il semblait enclin à l’encourager. La jeune femme leva la main en direction du beau barman afin de lui intimer de ramener deux verres.

-Oh mais oui, je veux absolument voir ce que tu as réussi à monter ! Il le faut ! Tu es venu pour ça alors ? Tu as des projets ici ?

Il semblerait que oui puisque le magicien parlait d’une assistante. Waow, ça devait être du sérieux s’il en avait une, cela prouvait qu’il avait un vrai spectacle vraiment bien rodé, et Eva était on-ne-peut plus fière de son ami. Alors que les deux verres de martini arrivèrent, les yeux de la jeune femme s’éternisèrent sur le fessier du barman qui regagnait son poste.

-Je t’avouerai que ce n’est pas sur les blondes au teint blafard que mon regard s’attarde dans ce genre d’endroit… déclara-t-elle avant de regarder à nouveau son ami avec un sourire en coin. Non, vraiment ça ne me dit rien, je suis désolée. Pourquoi tu ne l’appelles pas sur son portable ?

Puis, elle attrapa son verre pour trinquer avec lui, et pencha la tête sur le côté.

-Suis-je bête, le téléphone, c’est pas trop ton truc, pas vrai ?

Un sourire taquin se dessina sur ses lèvres avant qu’elle ne les trempe dans son verre. Elle faisait bien sûr référence au fait qu'il ne lui répondait que rarement, trop rarement à son goût.

-Alors, tu restes combien de temps ? Où est-ce que tu loges ? Si besoin, tu peux venir chez moi tu sais. Oh faut que je prévienne Kaili, elle va être dégoutée de pas être venue ce soir ! Au dernier moment, son père a invoqué la réunion familiale, tu sais comment sont ses parents … Mais bon, l’avantage c’est qu’elle aura plein de restes de cuisine hawaïenne.

C’était grâce à la jeune ostéopathe qu’Eva avait connu cette délicieuse cuisine : la mère de Kaili était hawaïenne, elle avait appris à sa fille les rudiments de base, et la demoiselle se plaisait à procéder à quelques essais culinaires dont ses amis étaient les heureux cobayes. Et gourmande comme elle l’était, le Dr cortez était ravie de l’être. Elle-même n’était pas très douée en cuisine, sauf pour faire des pancake, la seule chose qu’elle ne ratait jamais, elle avait beaucoup à apprendre de son amie. Asaël aurait facilement pu témoigner des essais ratés chez eux de nombreux plats ou desserts. Entre les pizzas brûlées, les gâteaux pas assez cuits, les cookies carbonisés, les sauces trop pimentées… Il y avait de quoi écrire le livre des records des ratés culinaires ! Cela dit, ça leur avait garanti des soirées fou-rire. Du coup, Eva se contentait de s’entrainer à couper les dindes de Thanksgiving selon une procédure chirurgicales, ou suturer des bananes ou des grains de raisin, pendant qu’Asa se chargeait de ce qu’ils mangeraient. C’était plus sûr pour leurs estomacs. Sinon, il restait la solution de se faire livrer des pizzas, des sushis ou toute autre nourriture qui se livrait. Ou encore d’exploiter Kaili. Ca, c’était la valeur sure.

-Et puis j’ai fait des progrès en cuisine tu sais. Maintenant je sais faire du riz à la crème. Sans rien cramer.

Un petit rire s’échappa de ses lèvres avant qu’elle ne boive une nouvelle gorgée de ce délicieux nectar qu’était le martini blanc.

-Bon alors, parle-moi de ton spectacle. Tu la coupes en deux, ton assistante ? Avec une tronçonneuse et tout ? Tu es toujours aussi habile avec des cartes ? Ça m’a toujours impressionnée quand tu faisais ces trucs à la maison.

Eva n’avait qu’une hâte, qu’Asaël lui parle de lui, de ce qu’il était devenu depuis son départ, tout ce qu’il avait fait pour en arriver là, réussir à pratiquer le métier de ses rêves. Il avait l’air d’avoir tant changé, et la curiosité de la jeune chirurgienne était mise à rude épreuve devant tant de mystère.

Asa. Cela faisait des années qu’on ne l’avait plus appelées ainsi. La plupart du temps, on le surnommait ‘As’, d’ailleurs, c’était le diminutif qu’il utilisait accompagné de la remarque ‘comme la carte du jeu’. Il n’y avait qu’Eva pour trouver des surnoms aussi uniques. La surprise de ces retrouvailles imprévues passées, le magicien essayait de retrouver un peu contenance. Il avait l’impression d’avoir fait un bon dans le temps et sentait un peu ridicule du style qui était le sien depuis qu’il était retourné vivre au Nevada. Se prendre coup après coup, une réunion tendue, une visite surprise de sa sœur et ce nouveau fantôme des noëls passés, quelles étaient les chances que cela arrive ? Néanmoins, l’alchimiste se força à rentrer de nouveau dans le rôle qu’il s’était forgé en montant sur scène et qui ne le quittait plus, même lorsque le rideau était tombé.

Lorsque la chirurgienne déclara être fière de sa réussite, Asaël lui rendit son sourire. "Réussir est un bien grand mot, disons que je me débrouille, mais merci." Dit-il en jouant les faux-modestes et en s’inclinant, une main sur le cœur pour feindre un salut au public.

Ce geste fit qu’il ne vit absolument pas venir l’étreinte qui suivit. Décidément, cela semblait être le jour où il serait pris au dépourvu ! Il eut un petit pincement au cœur qu’il masqua au mieux. Eva semblait ravie de le revoir alors qu’inversement, cette rencontre soulevait indirectement des événements de son passé qu’il essayait de chasser de ces souvenirs. Asaël cachait au mieux cette légère appréhension derrière un sourire confiant. Il s’installa au côté de son ex-colocataire lorsque cette dernière l’invita à prendre place à ces côtés. En s’installa, il justifia sa présence à Marblehead en prétextant un voyage organisé sur un coup de tête. Ce qui n’était pas si éloigné de la vérité, puisqu’il mentait seulement sur la motivation qui l’avait poussé à agir ainsi.

"Tout te raconter ? Je ne serais pas vraiment dire qu'il n'y a pas grand chose à raconter. Il se passe toujours quelque chose dans une ville comme Las Vegas. En fait, le vrai problème est que je ne serais même pas par où commencer." Commenta-t-il ensuite, sur un ton amusé. Une autre manière d'éluder la question. Dans ce but, il déclara vouloir inspecter à son tour son amie et vit vite les signes de fatigue liés à son travail. Lorsqu'il en eut la confirmation, le magicien se contenta d'acquiescer comme s'il compatissait. Ensuite, Asaël parla de Martini, sachant pertinemment que d'encourager ce vice marquerait encore plus la différence avec son 'ancien lui'. Son sourire gagna un cran lorsqu'il vit la réaction de son interlocutrice, puis il haussa négligemment des épaules.

Tandis qu'Eva commanda deux verres, la conversation s'aventura sur un terrain moins glissant : ces spectacles. Asaël répliqua sans une hésitation et avec enthousiasme, comme s'il avait attendu que ce sujet tombe depuis le début. "Oui. Enfin, j'aimerais bien. Ou dans les environs, en tout cas. À vrai dire, je ne sais pas encore. J'avais surtout besoin de me changer les idées. C'est dangereux de rester trop encrer dans la routine dans ce métier, même à Las Vegas. Le public pourrait se lasser. J'avais besoin de tester un autre style d'auditoire et peut-être de nouveaux tours selon mon inspiration." Oui, il continuait de s'accrocher à cette excuse. Peut-être qu'à force de la répéter, elle deviendra la réalité. En tout cas, elle avait fonctionné sur son assistante.

En parlant de cela, le magicien ne tarda pas à poser une question sur la véritable raison de sa présence dans ce bar, la recherche de Fay. Il espérait vraiment que la chirurgienne pourrait lui donner un indice, car cet endroit était sa dernière piste avant de creuser l'éventualité que sa charmante albinos essayait de quitter la ville par ses propres moyens.

Le regard appuyé de son interlocutrice sur une certaine partie de l'anatomie du barman venant leur servir les deux verres de martini chassa temporairement les tracas du magicien. "Je vois..." Commença-t-il, ces yeux pétillants de malice ainsi que son sourire. "Tu veux peut-être que je vous laisse seule tous les trois : toi, ton verre de martini et le beau petit cul du barman." Bien sûr, il avait jeté un bref regard afin de s'assurer que la personne visée n'était pas à porter d'oreille et avait baisser la voix par mesure de précaution. À une certaine époque, il n'aurait jamais osé parler aussi franchement. Sans doute aurait-il clôturé sa remarque par un rire si Eva n'avait pas enchaîné sur une remarque piquante au sujet des portables. Aussitôt, Asaël porta une main sur le cœur comme s'il venait de recevoir un coup. "Touché !" Signala-t-il sur le ton de la plaisanterie, avant d'arrêter cette petite comédie pour répondre sérieusement. "Comment te répondre sans attiser ta curiosité ? Disons qu'à mon avis, elle n'aura pas envie de décrocher si je lui sonne."

En fait, Asaël n'avait pas essayé, car il redoutait que le téléphone en question se trouve encore dans la chambre d'hôtel, ou qu'effectivement, Fay ne décroche jamais en voyant que c'était lui qui appelait, ou peut-être qu'Eva avait raison, tout simplement, le téléphone, ce n'était pas son truc. Surtout pour une conversation aussi importante. Les appels téléphoniques offraient une distance, mais il n'avait plus la possibilité de puiser dans sa gestuelle pour détourner l'attention et il ne pouvait pas non plus voir les réactions de l'autre personne, de ce fait, il ne pouvait s'adapter. En gros, se serait comme aller à une table de poker sans aucune bonne carte dans sa manche. On pouvait gagner au bluff, mais c'était risqué.

Il n'eut pas le temps de creuser cette question ni de laisser son humeur s'assombrir face à cette inévitable conversation avec son assistante, car le magicien se retrouva de nouveau bombardé de question. Asaël afficha le sourire figé de celui qui avait du mal à suivre devant un aussi grand nombre d'informations à assimiler.

"Je loge dans un hôtel du quartier historique. Je ne sais pas vraiment combien de temps je reste. Ça sera selon l'inspiration. Merci pour ta proposition, mais, comme je te l'ai dit, je ne suis pas venu ici seul. Je ne voudrais pas m'imposer pour une période indéterminée avec une personne que tu ne connais pas." En plus, Fay devait déjà se remettre de la rencontre avec Guéwen, alors il préférait attendre avant d'en remettre une couche. "Quant à Kaili, tu lui diras que je compatis pour sa réunion familiale." Commenta-t-il sincèrement puisqu'il venait de sortir d'une conversation avec sa soeur. Kaili, il l'avait presque oubliée. Une autre personne qui le connaissait avant qu'il ne change de manière de vivre. De mieux en mieux.

Évoquer les talents culinaires d'Eva lui arracha un sourire nostalgique. Les premiers essais de son ex-colocataire sur des recettes pourtant facile qui se finissaient inévitablement en catastrophe. Les nombreuses fois où ils n'avaient pas été loin de l'intoxication alimentaire. (sur le moment, ce n'était pas très amusant). Autant de preuve que tous les souvenirs du passé n'étaient pas forcément mauvais et à oublier. "Il faudrait que je goûte à ce prodige !" Commenta-t-il naturellement lorsqu'il fut question de riz à la crème non-brûlé.

Il essaya d'étouffer cette nostalgie en buvant une gorgée de son verre. Autrefois, ce simple geste aurait été suivit d'une quinte de toux et la sensation d'avoir la gorge en feu. Habité à Las Vegas lui avait permit d'améliorer sa tolérance à l'alcool, même si ces finances appréciaient certainement plus l'époque où il faisait beaucoup moins la fête. La conversation revenait sur la magie et Asaël eut de nouveau le regard brillant comme à chaque fois que son sujet de prédilection tombait. Il rit de nouveau devant les spéculations d'Eva.

"Je ne voudrais pas te gâcher la surprise en te révélant tous mes tours." Répondit-il tout d'abord, avant de sortir un paquet de cartes de la poche intérieure de sa veste. "Quant à mon habilité aux cartes, je te laisse en juger." Ajouta-t-il avec un sourire malicieux. Il retira une carte du paquet, l'As de pique et la montra à Eva. "Ne quitte pas la carte des yeux." Annonça-t-il avant d'étaler le jeu sur le comptoir, d'y placer la carte parmi les autres puis de rassembler le tas dans ses mains. Après les avoir de nouveau mélangé avec des gestes habiles dévoilant par moment volontairement où se trouvait la fameuse carte afin qu'Eva puisse continuer à suivre ses déplacements dans le jeu, il étala de nouveau le paquet trié en une ligne droite, face cachée. Ensuite, il prit son verre de Martini encore bien rempli pour le vider d'une traite. Il savait que ce geste serait une excellente distraction pour camoufler la suite du tour. Sans un temps mort, il retourna le verre vide et le posa dans un geste brusque qui provoqua un tintement au milieu de la pile de carte. En un instant, l'As de pique se retrouva à l'intérieur de verre, comme si la carte avait été attirée à l'intérieur. "Tadam !" Conclut-il. Cela faisait très longtemps qu'il n'avait plus fait de tour devant la chirurgienne. C'était presque la même sensation que de se retrouver devant un nouveau public. "Alors ? Ai-je perdu la main ?" Demanda-t-il, impatient d'avoir son avis.

Asaël avait tellement changé ! Aussi bien d’apparence que de mental. Eva avait du mal à en croire ses yeux, pourtant elle n’était pas encore assez bourrée pour prétendre à des hallucinations. Non, son meilleur ami et ancien colocataire était bien en face d’elle, arborant un tout nouveau look, ayant réussi à se lancer dans la magie. Plus aucune timidité, semblait-il, plus aucune retenue. Il l’incitait même à boire ! Le sourire avait du mal à quitter le visage de la chirurgienne, il s’amplifia lorsqu’elle elle vit simuler un salut au public alors qu’elle le félicitait de sa réussite et qu’il jouait la fausse modestie.

-Allons, tu fais ce que tu aimes, c’est ça la vraie réussite. Je suis très fière de toi, répéta-t-elle.

Ils s’installèrent finalement à une table, Eva y invitant Asa. Elle n’avait qu’une hâte, en savoir plus sur la nouvelle vie de ce dernier. Une vie qui devait être trépidante à en juger par sa nouvelle allure. Mais à la grande déception de la brune, il resta très évasif. Pourquoi ? Elle qui était si curieuse, il fallait qu’elle en sache d’avantage.

-Eh bien, commence par le début, comment tu es arrivé là-bas ? Ce que tu as fait ? Ce que tu fais maintenant ? Tout, tout !

Un enthousiasme manifeste de petite fille à qui l’on raconterait une merveilleuse histoire de princesse de conte de fées. Les verres commandés arrivèrent, et Eva trinqua avec Asa. L’asiatique sembla également gagné par l’entrain lorsque le sujet de ses spectacles fut évoqué. Quoi de plus normal, cette passion l’animait depuis au moins aussi longtemps qu’ils se connaissaient.

-Je vois que tu as tout prévu. Je suis là pour être ta première fan de Marblehead, j’espère que ton, ou tes spectacles se feront. Il me tarde de voir ça.

Eva but une gorgée de martini pour éviter de se laisser emporter par l’euphorie et de se mettre à taper dans ses mains comme une gamine. Elle l’informa ensuite que malheureusement pour lui, elle n’avait pas vu de jeune femme répondant à la description qu’il venait de lui donner de son assistante, lui faisant également comprendre qu’elle était là pour autre chose. Ce nouveau barman avait un fessier à tomber, de quoi satisfaire les yeux des plus difficiles. Asa sembla du même avis à en voir la malice dans son regard et son sourire, que lui rendit aussitôt la chirurgienne.

-Eh bien, je ne serai pas contre être seule avec lui et un bon verre de martini, mais même si tu t’en vas, il resterait toujours les autres clients. Donc je préfère profiter de mes retrouvailles avec toi, quitte à violer ce type une autre fois, lança-t-elle avec un grand sourire.

La conversation revint sur l’assistante disparue du jeune magicien. A entendre ce qu’il disait, la demoiselle n’aurait guère envie de répondre même s’il l’appelait sur son téléphone portable. Il avait précisé qu’il ne voulait pas attiser la curiosité de son amie, aussi se garda-t-elle de poser d’avantage de question à ce sujet, bien que ce ne soit pas l’envie qui lui en manquait. Eva se contenta de hocher la tête. Ils avaient dû se disputer, ça pouvait arriver à tout le monde, surtout dans le cadre du travail, quand le stress s’y met. Combien de fois Eva avait engueulé des internes ou des infirmières, ou s’était-elle pris le bec avec un confrère pour une divergence d’opinion lorsque le cas était critique et qu’il fallait se décider rapidement. Mais après, tout finissait toujours par rentrer dans l’ordre.

-Je vois. Bon, eh bien je suppose que tu la retrouveras demain.

Elle évoqué ensuite Kaili, qui était devenue une amie très proche également, et qui, par la force des choses, avait fini par connaitre Asaël. Tous les trois, ils étaient souvent fourrés ensemble. Eva était au boulot avec la belle ostéopathe, à la maison avec Asaël, il fallait bien qu’elle les présente tôt ou tard.
Alors qu’elle le bombardait de questions, n’y tenant plus, elle apprit qu’il logeait dans un hotel du quartier historique.

-Oh, c’est dans ce quartier que j’habite. T’as pas d’excuse, il faudra que tu viennes passer une soirée à la maison, ce sera l’occasion de se retrouver tous les trois. Je pourrais alors te montrer mes progrès en cuisine, et puis Kaili nous ramènera des merveilles des spécialités qu’elle sait faire, afin qu’on ait réellement quelque chose à manger. Ce sera comme au bon vieux temps.

C’était vraiment trop beau pour être vrai, il était là, et en plus il buvait avec elle, et ce sans s‘étouffer. Il était enfin devenu un grand (mauvais ?) garçon ! Eva était ravie et but une nouvelle gorgée de sa boisson préférée. Ah, la nostalgie du temps jadis, pas si lointain pourtant. Ils étaient jeunes, la jeune chirurgienne poursuivait des études très difficiles, et quand elle était au bord du gouffre, Asa était là pour elle, pour l’aider à relever la tête. Il avait toujours été là. Elle n’arrivait pas à comprendre comment ils avaient pu s’éloigner autant. Qu’était la distance quand un ami aussi proche existait ? Néanmoins, Eva n’avait pas envie d’assombrir ces retrouvailles inespérées en posant ce genre de questions. Il était tellement plus plaisant de voir son ami sourire et son regard briller lorsqu’il parlait de sa passion qui était enfin devenue son métier. Elle le vit d’ailleurs sortir un paquet de cartes de sa veste. Ah, les habitudes n’avaient pas changé ! Eva afficha à son tour un grand sourire, ravie d’à nouveau servir de cobaye pour une petit tour de magie. Elle reposa son verre et se concentra. Elle hocha la tête alors qu’il lui demandait de ne pas quitter des yeux la carte qu’il lui montra.
Asaël et ses mains expertes firent des merveilles en battant le jeu, dévoilant de temps en temps la fameuse carte, tirant des « oh » à Eva, aussi admirative qu’une gamine devant le père Noël. La jeune femme se laissa quelques secondes distraire par le magicien qui vida son verre d’une traite. C’était tellement… éloigné de l’Asa qu’elle avait connu ! Puis ses yeux se focalisèrent à nouveau sur les cartes et avant qu’elle ne comprenne ce qui s’était passé, le fameux As de pique se retrouva dans le verre vide qui venait d’être posé avec force sur la table.

-Waow ! souffla-t-elle avant d’applaudir. C’est incroyable ! Tu es vraiment très fort ! Impressionnant !

Les yeux de la petite brune pétillaient d’admiration. Ce tour était encore plus spectaculaire que ceux qu’il lui montrait quelques années auparavant dans leur salon quand elle faisait une pause entre deux révisions.

-C’est vraiment génial ! Et non, tu n’as pas perdu la main, loin de là ! Tu seras, à n’en pas douter, un illustre magicien ici ! C’est obligé, une vraie célébrité ! Et je pourrais dire à tout le monde que tu étais mon super coloc adoré !

Je suis très fière de toi. Curieusement, cette phrase simple résonna un instant lui. Pourtant, il avait l'habitude des applaudissements et des félicitations. Il en était même devenu avide avec les années. La différence était que dans la manifestation de joie d'un public peuplé d'anonyme, on pouvait facilement s'y noyer. Tandis que les mots prononcés par Eva étaient plus sincères et personnel. Le genre de phrase qui ne pouvait venir que d'une personne qui vous connaissait bien. Ce fait rare produisit quelque chose de tout aussi rare, Asaël ne savait pas quoi répondre. Heureusement pour lui, la chirurgienne lui proposa ensuite de s'installer au bar. Enfin... Heureusement... Heureusement... Le magicien avait parlé trop vite puisque son interlocutrice laissa libre parler sa curiosité.

En décidant de retourner au Nevada, Asaël s'était appliqué à créer un vide autour de lui. Un vide sélectif pour ne plus avoir à se remémorer son passé. Las Vegas, bien que proche de sa ville natale, était l'endroit idéal pour cela. Il était toujours resté évasif durant les nombreuses tentatives de son ex-collacatrice de reprendre le contact. Pas parce qu'il s'était fâché avec Eva, mais parce qu'il ne voulait pas replonger dans la douce nostalgie des moments passés. Tout comme il ne voulait pas penser à l'avenir. L'alchimiste voulait se concentrer sur le présent. Par pur réflexe, alors qu'il n'avait aucun moyen de fuir cette conversation, Asaël répondit tout aussi vaguement qu'à son habitude, à la grande déception de son interlocutrice qui insista de nouveau.

Face à l'enthousiasme d'Eva, il réprima le soupir que ferait un parent devant un enfant insistant pour qu'on lui achète un jouet malgré les réponses négatives, levant un instant les yeux au ciel avec un petit dodelinement de la tête maniéré, mais le sourire qu'il fit ensuite indiquait bien que sa réaction était tout aussi exagérée que celle d'Eva. "Oh, tu sais, c'est le genre d'histoire qu'on entend partout." Commença-t-il sur le ton qui signalait que la suite n'était pas très intéressante. Peine perdue, alors il continua. "En ce qui concernait mon arrivée, j'avais tout calculé dans le moindre détail, mais, sur place, je n'avais pas la moindre idée de la suite. Je n'avais qu'un ou deux billets sur moi et le contenu de ma valise. J'ai commencé dans des salles minuscules avec trois personnes à moitié endormi dans le public. Au début, je gagnais une misère que je brûlais au casino dans l'espoir de doubler ma maigre mise. Comme je n'avais rien à perdre, j'ai étudié et travailler dur pour peaufiner des tours plus audacieux. Petit à petit, la salle ridicule se remplissait d'un public attentif puis j'arrivais à décrocher des propositions pour des sales plus grandes et ainsi de suite, jusqu'à..." Il fit un geste théâtral. "Maintenant." Il haussa les épaules tandis qu'on apportait leurs commandes. "Dans les grandes lignes."

Il était beaucoup plus enthousiasme concernant la situation présente et la possibilité d'un spectacle à Marblehead ou, à défaut, dans les environs. Le magicien espérait que ce qui n'était qu'un faux prétexte pour justifier sa venue se concrétiserait. Il n'était là que depuis que quelques jours et la scène lui manquait déjà, surtout à cause des récents événements. "Justement, si tu as des idées d'endroits potentiels ?" Il se pencha en avant comme s'il voulait souffler un secret. "Ou à éviter." Ajouta-t-il avec une légère grimace avant de se redresser. "J'en ai déjà repéré quelques-uns, mais cela me ferait gagner du temps d'avoir un avis d'une personne connaissant la ville comme sa poche."

En parlant de cela, il vit une occasion d'invoquer la raison de sa présence dans ce bar et ce fut à son tour d'être déçu de ne pas recevoir la réponse espérée, bien qu'il le masquât au mieux en lançant une boutade à propos du nouveau barman qui semblait accaparé toute l'attention de son amie.

"Hé bien si ma présence peut t'empêcher d'avoir des idées de meurtres de masse suivit de viol de barman, je me fais un devoir de rester." Commenta-t-il avec humour face à la réponse d'Eva devant sa proposition de la laisser en tête à tête avec sa cible.

Asaël commençait à manquer d'option concernant ses recherches, comme la chirurgienne le disait, il n'avait plus qu'à espérer qu'il la retrouverait demain. Il masque son inquiétude en prenant une gorgée de Martini. Il fut un temps où ce geste aurait provoqué une grimace appuyée et une sensation horrible de brûlure dans la gorge. Une ville comme Las Vegas vous aidait à vous habituer à bien des choses.

S'il avait été sur la défensive durant le début de ses retrouvailles, c'est parce qu'il craignait de retrouver des travers de son ancien comportement, lui qui s'était donné tant de mal pour cacher les apparences derrière un close-up permanent. Maintenant qu'il sentait que ce n'était pas le cas, il pouvait enfin se détendre. Bien sûr, Juste quand il pensait cela, un détail lui montra qu'il ne devait pas se montrer trop confiant. Kaili était aussi en ville. Bien sûr, c'était logique. Un autre détail gênant quand on décidait de partir pour Marblehead sur un coup de tête. Est-ce que cet autre retour dans le passé se passerait aussi bien qu'avec Eva ? Peut-être. En attendant, il se retrouva à nouveau bombarder de questions.

"Comme au bon vieux temps." Répéta-t-il en résistant à la tentation de reporter une nouvelle fois le verre de Martini à ses lèvres. Si l'idée de replonger ainsi dans le passé ne l'enchantait guère, il réussit à le camoufler habilement. "Tu veux dire, quatre. Je compte bien montrer à Fay tes talents culinaires, si je les lui racontais, elle aurait du mal à le croire." Plaisanta-t-il. "Laisse-moi juste un peu de temps pour... que je fasse la paix avec elle et on s’organisera ça, promis." Il faillit ajouter d'attendre quelques jours, le temps que son assistante se remette dans un premier temps de la rencontre avec Guéwen, cependant, il préférait éviter de mettre ce sujet sensible sur le tapis.

Parler de magie était beaucoup plus plaisant. Non, ce qui était véritablement plaisant, c'était d'en faire une démonstration. Heureusement, il avait gardé l'habitude tenace de toujours garder un paquet de cartes dans la poche de sa veste. Dès qu'il commençait un tour de magie, le reste ne comptait plus. Un tour se composait de deux sortes de gestes, ceux déterminants pour la suite et ceux servant à détourner l'attention. Rien n'était fait ou dit par hasard. Son verre de Martini étant à peine entamé, il tenait là la distraction parfaite en plus d'obtenir à la fin, un accessoire de plus pour la réapparition de la carte.

À chaque fois qu'il finissait un de ces numéros, il avait toujours l'impression que le temps se figeait entre le moment où il brandissait le résultat final et l'instant de la première réaction. Il y avait toujours ce petit soupçon de magie en suspension dans l'air et une petite touche de doute planait : allait-il être découvert ? Est-ce que ce que le tour avait été apprécié ? Dans le cas présent, il espérait également d'être à la hauteur des attentes de son ex-collocataire. Sur ce dernier point, il pouvait être rassuré. Eva semblait bon public. Asaël mit une main sur le coeur et s'inclina légèrement face aux applaudissements.

"Je me demande ce qui t'a le plus impressionnée, la réapparition de la carte ou le fait que j'ai vidé mon verre d'une traite." Commenta-t-il avec malice en mélangeant une dernière fois ses cartes avant de les ranger dans sa poche. Pendant ce temps, Eva continuait ses compliments. "Je n'ai plus qu'à espérer que le public de cette ville sera aussi enthousiaste que toi." Dit-il avec un sourire radieux. "Quoi que si je reçois autant de compliment chaque soir, je risquerai de ne plus pouvoir passer les portes." Plaisanta-t-il encore. En disant cela, il se frotta légèrement la joue du doigt comme s'il voulait les empêcher de rougir, un réflexe qu'il n'avait plus eu depuis l'époque où il était habitait encore avec Eva. En ce temps-là, il se montrait intimidé devant le moindre compliment. Un geste qui jurait avec le look qu'il affichait à présent.

Eva écoutait avec attention Asaël lui narrer son arrivée et ses débuts à Las Vegas. Ses yeux ne quittaient pas les siens, elle était comme une enfant à qui on racontait un merveilleux conte de Noël, accoudée à la table. Certes, le début de l’histoire n’était que peu glorieux, mais c’était ce qui faisait les bonnes histoires, non ? Et puis elle savait que la fin était plus heureuse que le commencement, étant donné qu’il se trouvait là, devant elle, avec un nouveau look et plus d’assurance et de personnalité qu’il n’en avait jamais eues, du moins devant elle.

-Waow, c’est carrément cool ! Tu en auras des choses à dire, quand tu écriras ta biographie, ou plutôt que quelqu’un le fera pour toi, parce que tu seras trop occupé par ta célébrité, lança-t-elle joyeusement, plaisantant à peine.

La chirurgienne reprit une gorgée de sa conso, vidant peu à peu le verre, tandis que le magicien lui demandait si elle avait des idées de lieux pour son spectacle, ou d’endroits à éviter.

-Oh, de là à dire sue je connais la ville comme ma poche, il ne faut pas exagérer… Mais je me dis qu’un spectacle de magie en plein air sur la plage, ça pourrait en jeter, qu’est-ce que tu en penses ? Par contre, je n’ai aucune idée de comment ça se passe pour organiser ça… Et toi, quels sont les endroits que tu as repérés ?

Voir Asa sur scène, pratiquant son art, serait une sorte d’aboutissement, surtout dans la ville où il avait débuté ses entrainements dans leur petit appartement. Eva voulait absolument venir l’applaudir pour l’encourager et le soutenir, tout comme lui l’avait soutenue au cours de ses études difficiles. Une manière de boucler la boucle, en quelques sortes.
La jolie brune ne put s’empêcher d’éclater de rire devant la réponse de son asiatique préféré quant à sa décision de rester avec elle dans ce bar.

-C’est gentil de vouloir m’éviter la prison pour meurtre de clients et viol de serveur.

Le verre d’Eva était désormais vide, et elle fit signe au serveur doté d’un cul qu’elle qualifiait intérieurement de « à se damner », de venir les ravitailler. Voir Asa boire de le l’alcool de manière aussi naturelle était encore un choc pour elle, mais c’était plutôt cool comme changement.
La chirurgienne avait lancé l’idée d’organiser une petite soirée chez elle, histoire de faire comme au bon vieux temps, avec sa meilleure amie Kaïli. Elle ne remarqua pas l’hésitation fort bien dissimulée de son ex-colocataire, trop absorbée par son propre enthousiasme et les effets de deux verres vite ingurgités.

-Oh oui, ça me ferait très plaisir de rencontrer la fameuse Fay. Quant à mes talents culinaires, personne ne le croit jamais quand je le dis, c’est dingue, pas vrai ? demanda-t-elle en riait.

Ses exploits catastrophiques en matière de cuisine, Asa en avait fait les frais, mais il avait toujours été si indulgent avec elle.

-Je t’assure malgré tout que j’ai fait des progrès. Bon, je n’aurais jamais le niveau de Kaïli, c’est certain, mais je fais presque plus rien cramer, tu sais !

Que serait un magicien sans démonstrations ? Asa se livra à un petit tour, sous le regard attentif et admiratif de son ancienne colocataire qui n’en perdait pas une miette. Elle avait applaudi avec enthousiasme tandis que le jeune magicien avait procédé à un petit salut avant de lui demander implicitement si ce qui l’avait le plus impressionnée était le retour de la carte disparue, ou bien le fait de le voir lui vider un verre d’alcool. Eva sourit.

-Eh bien… j’avoue que j’ai moi-même du mal à le savoir.

Elle entama alors son troisième verre de martini, écoutant son ami.

-Je suis sure que tu sauras rester humble face au succès. Tu le mérites, en plus, ce succès, avec tout ce que tu as travaillé pour en arriver là.

Souriant toujours, elle reprit un peu son sérieux.

-Tu vas t’installer un moment alors ? J’espère que j’aurai plus de nouvelles de toi. Tu m’as vraiment manqué Asa.

Son regard brillait d’émotion. Le retrouver était vraiment quelque chose d’important pour elle, mais qui lui semblait être devenu une quête impossible, tant les nouvelles se faisaient rares et la distance paraissant si grande, de ce fait.

La nostalgie. Voilà un sentiment qu'il avait réussir à fuir depuis qu'il avait fait la connaissance de Fay. Ce qu'il ne racontait pas, alors qu'il résumait ces débuts sur scène, c'est qu'alors que l'alchimiste avait trouvé refuge dans la lumineuse Las Vegas, il avait passé chaque minute à penser à la mort de son frère, au lavage de cerveau vécut par sa soeur adoptive, à cette vie heureuse qui était devenu du passé. Il ne racontait pas non plus que chaque fois qu'il retournait à sa chambre miteuse d'hôtel (seule chose qu'il pouvait se payer au début), il s'asseyait sur le lit et fixer le mur avec l'impression de revivre l'interminable attente au centre alchimiste alors que Guéwen subissait son reconditionnement. Sur scène, tout était différent. Sur scène, il se sentait vivant. Il avait l'impression que son frère, Zacharie, était encore en vie. Illusion qui pouvait demeurer intacte puisqu'Asaël n'avait jamais parlé de cette perte à son assistante. Tout avait changé au contact de sa chère albinos. Il avait dû continuer de jouer le rôle qu'il s'était forgé, même après la sortie sur scène. Oh, Asaël ne s'en plaignait pas. Il était tellement grisant d'agir de manière totalement opposée à ces habitudes, de se draper dans une assurance et un orgueil qu'il n'avait pas réellement.

Lui qui avait soigneusement chassé de sa vie tout élément lié au passé, se retrouvait de nouveau malmené par ce qu'il avait cherché à fuir. Tout était allé trop vite. En un temps records, il avait réalisé que le directeur du centre local était un cinglé (quoi que se point n'aurait pas dû l'étonner, à la réflexion), sa soeur lui avait rendu une visite surprise en éventant quelques secrets, son assistante demeurait introuvable et il se retrouvait à présent dans un bar en compagnie de la personne qu'il avait considéré pendant longtemps comme une soeur de substitution. Du moins, avant que sa vie n'opère un tournant à 180 degrés.

Maintenant, il se retrouvait à résumer les débuts de sa carrière, à lutter contre l'envie de se confier à la seule personne qui avait été là pour lui lorsqu'il avait perdu son frère, à lutter également contre la nostalgie et à maintenir le rôle qu'il s'était forgé avec le temps. Son look si particulier l'aidait à tenir. Sans cela, sans doute aurait-il cédé face à l'enthousiasme de son interlocutrice et retrouver son caractère effacé et modeste d'avant. Avant il aurait sans doute assuré qu’il était trop tôt pour parler de célébrité ou de biographie puisque son succès ne dépassait pas la ville de Vegas. Or, il ne pouvait plus agir ainsi. Un magicien qui avait un nom de scène comme le sien ne pouvait être modeste.
"Oh oui, je devrais peut-être commencer à chercher une plume qui serait assez talentueuse pour retranscrire mon parcours." Répondit-il en prenant un air songeur. "Mais une chose à la fois." Continua-t-il en écartant ce sujet, presque à regret. "En premier lieu, le spectacle à Marblehead."

Il était grand temps que cette discussion revienne sur un terrain moins glissant et le lieu du potentiel spectacle semblait être le sujet idéal. Il ne fut pas déçu.

"La plage ! Bien sûr !" S’exclama-t-il en se donnant une petite tape sur la tempe dans un geste maniéré. "Avec une scène ouverte, sans coulisse et un public tout autour." Continua-t-il en traçant un cercle avec son doigt, ce qui produisit des tintements à cause de ces bagues. "Cela augmenterait la difficulté des tours, mais ce n’est pas pour me déplaire. Et puis, peut-être faire des tours sur la thématique de l’eau. Cela me rappelle, a un casino de Vegas, il y avait un aquarium géant avec des danseuses déguisé en sirène et…" Il s’interrompit avec un sourire espiègle. Avant aussi, il se serait interrompu à ce passage, mais plutôt parce qu’il serait devenu rouge comme une tomate devant la vision de danseuses aquatiques peu vêtues. "Je te passe les détails." Dit-il avec un geste vague de la main. Il s’accouda d'avantage sur le comptoir, avec une petite moue rêveuse. "Pour mes recherches, je m'étais contenté de faire la tournée des bars." Il inclina légèrement la tête avant d'admettre : "Bon d'accord, ce n'était pas dans le seul but de chercher l'endroit parfait que j'ai commencé mes recherches par là." Comme pour illustrer ces intentions, il se saisit de son verre, mais n'en but pas le contenu, préférant rêvasser sur l'idée de la chirurgienne. "Un spectacle sur la plage. Voilà une idée géniale. J'imagine la tête que ferait Guéwen si j'y arrivais."

Après le sermon qu'il avait reçu, cette vision était plutôt rafraîchissante. Sans le vouloir, il avait mis le sujet de sa soeur sur le tapis. Encore quelque chose qui avait radicalement changé avec la mort de Zacharie. Avant, Asaël et Guéwen s'entendaient très bien. Maintenant, grâce au Centre Alchimique, sa soeur était devenu un bon petit soldat obéissant. La soeur qu'il avait connu était morte. Du moins, c'était ainsi qu'il la voyait. Sauf qu'à la réunion, elle lui avait sauvé la vie, allant contre les ordres. L'alchimiste ne savait plus quoi penser. Devant ce rappel involontaire des derniers événements, un bref instant, son visage s'assombrit. Heureusement, le serveur revint pour apporter de nouveaux verres, offrant une distraction de choix.

Du moins, jusqu'à ce que les cinq mots furent prononcés : comme au bon vieux temps. Ce n'était pas la première fois qu'Eva lui proposait ce genre de chose. La différence était qu'Asaël pouvait toujours faire la sourde oreille face à un texte ou un mail. Ici, tout ce qu'il pouvait faire était de cacher de son mieux ses réticences et ses hésitations.

"C'est parce que tes talents frôlent un niveau dépassant l'imagination." Plaisanta-t-il alors qu'Eva parlait de ces talents culinaires. "Laisse-moi le temps de la retrouver, de me faire pardonner puis de la préparer psychologiquement à ta cuisine et on s'organisera ça." Cette fois, il n'avait aucun moyen de s'y dérober. Au moins, il avait gagné un peu de temps en ne mentant pas vraiment sur la raison. "Je suis sûr que tu géreras tout comme une chef. Ou plutôt, je l'espère très sincèrement, car je ne serais peut-être pas capable de prendre le relais en cas de catastrophe culinaire. Je suis un peu rouillé en matière de cuisine. La faute à Vegas et sa diversité." Toujours sur un ton taquin, il poursuivit : "Peut-être qu'on est au même niveau, désormais."

Puisqu'on parlait de niveau, le magicien ne résista pas à faire une petite démonstration de son adresse. Un verre rempli qui ne le resta pas longtemps, un paquet de cartes et le tour était joué ! Voir la chirurgienne aussi enthousiasme était rassurant. Après tout, Eva l'avait vu s'entraîner alors qu'il n'avait pas encore décidé d'en faire son métier, Asaël avait eu pendant quelques secondes la crainte de n'être plus à la hauteur du souvenir que de son interlocutrice avait de son talent.

Ce qu'il redoutait fini par arrivée, à force de recevoir des louanges, l'Asiatique réagit avec un embarras et une timidité qui n'étaient plus censé lui correspondre. Il avait agi comme avant, par réflexe. Recevoir des compliments de personne inconnus était différent que d'en obtenir d'une personne qui comptait. Asaël commanda un autre verre pour masquer son trouble. Lui qui se persuadait d'avoir changé en venait à se demander si cela était vraiment le cas.

"Peut-être. Au moins, le temps de régler ce que je suis venu faire." Répondit-il avec un geste vague témoignant le fait qu'il ne saurait dire combien de temps il resterait. "Si ma soeur ne trouve pas un moyen de me chasser avant." Ne put-il s'empêcher d'ajouter avec ironie. Il poussa un bref soupir et se saisit de sa consommation à peine servie. "Tu sais quoi ? Oublions tout ça. Oui, oublions tout. Trinquons à nos retrouvailles et buvons comme s'il ne devait pas avoir de lendemain !" S'exclama-t-il avec l'enthousiasme de celui qui comptait bien faire la fête toute la nuit.

Cette soirée, qui s’annonçait morne au départ à cause de Kaili et son désistement, était finalement placée sous les meilleurs auspices, puisque par un hasard incroyable et heureux, Eva avait eu la chance inespérée d’être tombée sur son cher Asaël. Et voir qu’il était enfin devenu le magicien qu’il avait si longtemps rêvé d’être, ou du moins qu’il s’en rapprochait, faisait grand plaisir à la chirurgienne. Ainsi, tous les deux pratiquaient le métier de leurs rêves, celui pour lequel ils étaient faits et surtout pour lequel ils avaient tant travaillé, à l’heureuse période de leur colocation. Certes, ils galéraient un peu, mais c’était l’une des périodes les plus heureuses dans la vie d’Eva : elle abvait rencontré les deux amis les plus chers à son cœur, à savoir Asa et Kaili, elle faisait les études de ses rêves, et surtout, ses parents étaient encore en vie. Aujourd’hui, beaucoup de choses avaient changé. L’asiatique avait tellement changé, la petite brune n’en revenait pas, mais elle adorait déjà ce tout nouvel Asa qui lui faisait face, pus sûr de lui, plus fêtard. Las Vegas avait dû lui faire un sacré électrochoc.

Les voilà à présent en train de plaisanter sur la future biographie du futur célèbre Asaël Zhuang. Ils reprirent un peu de sérieux ensuite pour tenter de trouver une bonne idée pour son spectacle à Marblehead. Eva avait machinalement proposé la plage, sans trop réfléchir, les effluves de l’alcool commençant peu à peu à faire leur effet. Le magicien sembla apprécier la difficulté que pouvait représenter ce lieu atypique pour un spectacle de magie.

-Oh… ben… si tu utilises une estrade, un peu surélevée, tu vois le genre ? Tu pourrais alors avoir des coulisses… en dessous.

Elle mima une hauteur entre le plancher de la scène et le sol avec ses mains.

-Genre, comme ça ais en plus haut. Enfin, tu vois quoi. T’as compris, pas vrai ?

C’est sûr que dit comme ça, ce n’était pas forcément simple à comprendre, mais il la connaissait bien, en principe, et devrait réussir à déchiffrer. En gros, elle essayait de lui dire que l’espace entre le sable et le plancher de la scène pourrait être exploité si besoin était. Asa évoqua alors un spectacle avec des sirènes, à Las Vegas, et devant son sourire espiègle, Eva eut le même, comprenant parfaitement où il voulait en venir. Il était tellement loin, le Asaël tout timide qui n’osait pas aborder les filles et qui attendait qu’elles fassent le premier pas.

-J’en connais un qui a dû bien se rincer l’œil ! C’est cool Vegas on dirait. Faudra que j’y aille un de ces quatres.

Il prononça alors le prénom de sa sœur, Guéwen. Les liens familiaux du chinois étaient particuliers, surtout depuis la mort de son frère.

-Comment va-t-elle d’ailleurs, cette chère Guéwen ?

Eva ne savait absolument pas que son ami et sa sœur adoptive s’étaient quelque peu éloignés. Elle ne savait à vrai dire pas grand-chose à ce sujet, pour ne pas dire rien.
La discussion dévia ensuite sur l’invitation de la chirurgienne pour une petite soirée comme au bon vieux temps. Asa devait déjà retrouver Fay. A priori, ça ne devrait pas prendre des lustres. Elle pouffa de rire en entendant son ami déclarer qu’il lui faudrait préparer psychologiquement son assistante à la cuisine d’Eva.

-Oh, ne t’en fais pas, Kaili assurera nos arrières, et la protection de nos estomacs, grâce à ses super pouvoirs de cuisine tahitienne. Je suis tellement jalouse, ajouta-t-elle en chouinant. C’est vrai quoi, c’est quand même dingue que je puisse plus facilement faire une greffe cardiaque que réaliser un gâteau au yaourt. Soit dit en passant, la personne qui a dot que c’était le truc le plus simple à faire a menti !

Elle regarda alors pensivement son verre presque vide, songeant que chacun avait ses talents après tout. Mais Kaili en avait tellement. Eva admirait beaucoup sa meilleure amie. La petite brune sortit de sa rêverie lorsque son cher Asa hasarda le fait que sa sœur pourrait le chasser.

-Pardon ? C’est quoi ce délire ? Personne ne te chassera d’ici, pas même Guéwen. Je refuse ! Et puis tu fais ce que tu veux.

Eva fit signe au barman de ramener une tournée en même temps que son asiatique préféré le fit, afin que leurs verres arrivent en même temps. Il proposa alors d’oublier tout ça et de boire, et boire encore. La belle brune attrapa son verre et le leva devant elle.

-Là, on est sur la même longueur d’ondes ! A la gueule de bois qu’on aura demain ! Et à ton retour à Marblehead !

Puis, elle délesta son nouveau verre d’une bonne gorgée. Voilà une soirée de retrouvailles qui serait mémorable, à n’en pas douter. L’alcool coulait à flots, pas question d’avoir de limites quand on retrouvait un vieil ami perdu de vue depuis aussi longtemps. Enfin, perdu de vue était un bien grand mot, mais étant donné qu’il ne donnait plus signe de vie, du moins extrêmement rarement, l’événement de le voir en chair et en os se devait d’être fêté comme il se devait, et c’est bien ce que fit le Dr Cortez ce soir-là. Elle en avait même oublié les jolies fesses du serveur ! Ce fut une bonne soirée, pleine de promesses.